17 paires de jambes et d’oreilles attentives
se sont données
RDV à Aunat,
sans vouloir tenir compte d’une météo qui n’annonçait que des mauvaises choses !
Et nous eûmes raison car très vite le ciel et les corps se
sont découverts.
Une montée sous l’œil curieux des vaches Aubrac,
Des ruines d’église qui témoignent de l’implantation d’un village sur les hauteurs de Fontanes de Sault, habitat délaissé dans le courant des XIVème et XVème siècles.
Et c’est à l’abri du chœur que nous nous installons pour
écouter Odile nous présenter un livre de Goliarda Sapienza
Goliarda Sapienza (1924-1996) est née dans une famille anarchiste sicilienne très engagée dans les luttes sociales et antifascistes. Elle a été comédienne, assistante de réalisateurs au cinéma.
Son œuvre romanesque, essentiellement autobiographiques, est
peu diffusée de son vivant. Elle est
connue surtout pour L’art de la joie.
Une vie entre malheur et bonheur passée entièrement dans la
création pour adoucir cette douleur de vivre.
« fallait-il sortir de soi pour être
libre ? »
Son dernier
roman : Rendez-vous à Positano.
Positano, petite ville sur la côte amalfitaine (sud de
Naples), est un personnage à part entière du récit. Venue pour faire y un repérage, l’héroïne du
roman ne peut quitter ce lieu jugé beaucoup trop beau pour être dénaturé par le
cinéma. Une vie bouleversée et éclairée par une
rencontre; une femme incroyable qui vit dans une tout aussi incroyable maison
de chaux et de pierre, à l’image des âmes et des rencontres que l’on y
fait.
On assiste à la naissance d'une
très profonde amitié.
« on tombe amoureux parce qu‘avec le
temps on se lasse de soi-même »
Un magnifique roman avec toute la force du Sud !
Nous poursuivons la marche, toujours en montée, pour atteindre
un point de vue sur la Vallée de l’Aude.
Nouvel arrêt en forêt,
la parole est à Evelyne et Serge pour
le dernier roman de Romain Gary (1914-1980)
Les
cerfs-volants écrit
en 1980
Romain Gary dira de ce roman que c’est le seul où il a vraiment
réussi à écrire ce qu’il avait envie d’écrire.
Ambroise, le « facteur timbré », fabrique des
cerfs-volants qu’il n’arrête jamais de faire voler, le vol permanent
symbolisant l’espoir à maintenir malgré la guerre.
Une très belle histoire d’amour entre Ludo et Lila parcourt tout
le roman, "un amour pour toujours".
« il ne faut pas se laisser faire par la réalité »
|
Dans ce roman, tout le monde résiste à sa façon. Un roman à l’image du cerf-volant, le
style de l’auteur et la force de l’imaginaire allégeant des situations très
lourdes.
Mais un regard sans concession.
« Je me disais que les nazis allaient beaucoup nous manquer, que ce serait dur, sans eux, car nous n'aurions plus d'excuses. »
« Je me disais que les nazis allaient beaucoup nous manquer, que ce serait dur, sans eux, car nous n'aurions plus d'excuses. »
Beaucoup d’humour et d’espoir.
Un roman positif sans être mièvre, ce qui est
un exploit !
La prochaine étape nous mène, par
un sentier caché, dans un lieu très peu connu que Margot va nous
présenter : le maquis Jean Jaurès
Créé en mars 1943 par l’instituteur
d’Aunat, ce lieu a servi de refuge aux jeunes hommes appelés au STO (service du
travail obligatoire) et refusant de se rendre en Allemagne.
Conseiller général communiste dans le Lot
et Garonne, cet instituteur a été déplacé à la campagne pour être mieux
surveillé…
C’est l’occasion de parler des
« listes S » créées par Vichy, une appellation que l'on réentend
aujourd’hui. A l’époque, elle reprenait : « les repris de justice,
les étrangers douteux, notamment les anarchistes espagnols, les communistes,
les juifs suspects, les gaullistes notoires, les suspects au point de vue
national »
(doc des Archives de l’Aude)
Les nuages nous ont rattrapés et
la vue depuis le poste d’observation est complètement bouchée.
Après
le pique-nique, c’est à deux pas de l’ancien camps du maquis que Françoise nous
parle du dernier livre d’ Eric Vuillard
Une
journée à refaire…
Eric Vuillard, (né en 1968) publie des « récits »
chez Actes Sud dans la collection « un endroit où aller »
Se plaçant toujours dans des époques historiques
différentes, il met en lumière des petits détails qui donnent une perception
inédite des événements.
L’Ordre du jour est paru en 2017
En 16 chapitres, l'auteur met en scène le rôle du bluff dans
l’histoire en se basant sur la montée en puissance du nazisme.
Comment en 1933, les 24 plus grands barons de l’industrie
allemande ont soutenu financièrement Hitler et le parti nazi qui, à l'époque, représentait encore peu de choses.
Comment une armée de Panzer en panne a quand même réussi à
soumettre l’Autriche.
"On ne tombe
jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière,
dans un mélange de ridicule et d’effroi"
Et comment le bluff se nourrit des lâchetés et des envies de
pouvoir de petits potentats.
Un récit qui met le doigt sur les intérêts que retirent des
guerres les grands industriels et financiers:
« Les vingt-quatre ne s'appellent ni Schnitzler,
ni Witzleben, ni Schmitt, ni Finck, ni Rosterg, ni Heubel, comme l'état civil
nous incite à le croire. Ils s'appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG
Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons. Nous
les connaissons même très bien. Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont
nos voitures, nos machines à laver, nos produits d’entretien, nos
radios-réveils, l’assurance de notre maison, la pile de notre montre.»
Eric Vuillard, par sa façon très originale d’aborder
l’histoire, peut réconcilier les lecteurs fâchés avec les dates et les cours
d’histoire « à l’ancienne ».
Un livre vraiment remarquable !
Nous
poursuivons par le Col de la
Clause, lieu de passage depuis toujours. Y passe la Route Vauban allant de Narbonne
à Mont Louis.
Dernier
arrêt littéraire à l’Observatoire animalier dominant le Col des Aychides.
Dans
une ambiance de plus en plus humide, Catherine nous présente un roman d’Ismaïl
Kadaré, né en 1936 en Albanie.
Kadaré représente un cas exceptionnel d’écrivain
dissident qui a pu publier ses romans à l’intérieur des frontières d'un état
totalitaire complètement fermé (de 1978 à 1991). Il connait le succès à la
fois en Albanie, malgré sa critique du totalitarisme, et à l’étranger.
Avril Brisé (1980)
Les années 30 sur les hauts
plateaux du Nord. Une région hors-état
où règne le Kanun, code féodal basé sur la vendetta.
Dans cette zone montagneuse aux décors de
pierres grises, de pluie et de brouillard permanent,
deux histoires
parallèles :
Celle de Bessian et Diane, en
voyage de noce. Ecrivain, Bessian étudie
les coutumes ancestrales et Diane a tout à apprendre.
Celle de Gjorg, un jeune homme qui vient de venger la mort de son frère
et attend le même châtiment selon les termes du Kanun. Il lui reste les 30 jours de trêve à vivre.
Un regard échangé entre Diane et Gjorg, un regard doux dans un monde dur,
va bouleverser la vie des trois personnages.
Un roman sombre qui dénonce une coutume encore en vigueur
aujourd’hui.
Kadaré ôte la part faussement
grandiose et romantique de la tradition
"vos livres, votre art, sentent
tous le crime. Au lieu de faire quelque chose pour les malheureux montagnards,
vous assistez à la mort, vous cherchez des motifs exaltants, vous recherchez
ici de la beauté pour alimenter votre art. Vous ne voyez pas que c'est une
beauté qui tue."
Une
ambiance glauque…
la
pluie nous a définitivement rattrapés.
C’est
dans la salle de la mairie d’Aunat, sous le regard pétrifié d’un roi de la forêt, que nous partageons et apprécions le goûter.
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